Par Mots et par Vies

Ma... est revenue !

 

Elle avait décidé d'aller faire les vendanges, du côté de Bordeaux.

Il lui fallait un billet de train, une tente et quelques accessoires pour faire sa popote, un sac à dos, un

vélo pour parcourir les 7 km qui séparent la gare du château ( avec sa crête rouge, ses piercings et sa

chienne, le stop lui paraissait difficile).

Pendant des semaines elle n'a plus parlé que de cela, de son besoin de partir, d'être au vert, de

prendre du recul, de gagner de l'argent pour ses enfants. Elle a fait la manche avec encore plus

d’énergie que d'habitude. De l'énergie, du courage, elle n'en manque pas. Elle a réussi à économiser

l'argent pour le train, pas pour la chienne, mais bon... Elle voulait une grande tente familiale, pour

être au large, elle en a trouvé une, toute petite, en mauvais état que quelqu'un lui a passé. Je lui ai

donné mon vieux vélo, ma cape de pluie et lui ai prêté mon sac à dos (j'y tiens beaucoup, on a

tellement vadrouillé ensemble). Elle n'a pas réussi à se procurer de quoi écouter de la musique, elle

n'a pas voulu prendre de « matos » (de quoi se rouler un joint quoi !).

Un beau matin de fin août, elle a pris le train.

Nous sommes restés longtemps sans nouvelle. Elle n'a pas de portable. Elle nous manquait. Nous

parlions souvent d'elle. Dans les moments difficiles, Philippe disait, si Ma... avait été là ça ne se

serait pas passé comme ça...

Son absence m'a fait prendre conscience de la place singulière qu'elle occupe dans la rue, dans le

coeur de tous ces gaillards qui la fréquentent régulièrement. Dans mon cœur aussi, il faut bien

l'avouer. Elle est petite, menue, mais grande gueule, elle a une autorité naturelle et tout le monde la

respecte. Il faut dire qu'elle a vécu. Elle a commencé à la rue, elle avait à peine 18 ans, aujourd'hui

elle en a plus de 40. Elle parle avec émotion de ses premières années et de ces hommes qui lui ont

appris la rue et l'ont sans doute aussi protégée. Elle a 5 garçons pour qui elle s'est battue afin d'en

conserver la garde et si elle vit aujourd'hui dans un appartement, elle n'a rien perdu de sa révolte, de

son refus d'entrer dans le moule que la société lui propose. Pourtant elle est fragile aussi, sensible,

même si son apparence et son timbre veulent nous montrer le contraire. Elle les aime ces gaillards

de la rue et ils le lui rendent bien, elle est un repère, un modèle, un point d'appui pour ces hommes à

qui tout échappe, qui n'ont plus d'ancrage. J'ai pour elle de l'admiration et la tendresse.

Un beau matin, à la fin du mois d'octobre, alors que comme chaque matin nous parcourrions les

rues de la ville, nos oreilles sont attirées par une voix familière, reconnaissable entre toutes, sonore

et joyeuse. Ma... est revenue... et c'est la fête pour ses amis. Elle nous montre les photos prises avec

le patron du château, sa femme, son fils et sa belle-fille. Elle nous raconte sa galère pendant un mois

avant que ne commencent les vendanges, les kilomètres à parcourir pour aller faire la manche dans

les villages les plus proches, les hommes au café qui la regardaient avec méfiance au début et avec

qui elle a fini par faire d'interminables parties de pétanques, les nuits sous la tente, ses peurs, ses

cauchemars, le travail enfin, la fatigue et la fierté d'y arriver, d'avoir tenu et Lille qui lui manquait,

« sa médina » comme elle aime à dire, ses enfants aussi bien sûr, à qui elle pensait sans cesse.

Merci Ma... sans qui les rues de Lille n'ont plus les mêmes couleurs, merci d'être là, tu nous as

manqués.



04/12/2012
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