Par Mots et par Vies

La rue : un choix ?

 

Elle a 23 ans, petite, toute mince avec de grands yeux bleus. Elle fait la manche assise par terre avec son chien sur les genoux, comme beaucoup d'autres dans nos grandes villes.
Parfois les gens me disent : « mais pour ces jeunes, être dans la rue c'est un choix ! »
Un jour où nous parlions de notre lieu de naissance, elle m'a cité le nom de son village. Car elle n'est pas née à l'hôpital ou en clinique, mais dans « les chiottes » de la maison de ses parents. Sa mère, très dépressive, faisait un déni de grossesse. Un jour, elle avait mal au ventre, est allée aux toilettes et c'est là que notre SDF est entrée dans ce monde. Par la petite porte, déjà. Elle a grandi entre une mère malade et un père mort trop jeune d'une rupture d'anévrisme. A 18 ans elle a pris la route et vit en squat avec un compagnon qui entre alcool et drogue se met dans des états terribles, « quand je le vois comme ça, j'en ai mal au ventre tellement j'ai peur. »
J'ai connu il y a quelques années, une toute jeune fille, 15 ans à peine et déjà dans la rue. Elle partageait la vie d'un jeune homme à peine plus vieux qu'elle, qui aujourd'hui est en prison pour coups et blessures ayant entraîné la mort d'un autre SDF. A 16 ans, enceinte, elle alternait les séjours dans la rue avec ce jeune déséquilibré, et les temps chez sa mère, alcoolique, qui la prostituait .
Alors être dans la rue pour ces jeunes est-ce un choix ?
Je ne voudrai pas généraliser. J'ai rencontré une mère, effondrée par l'errance de sa fille.
Pourtant dans bien des cas, il s'agit de choisir entre plusieurs enfers. Le cocon familial n'est pas toujours un nid douillet. La rue est dure. Le froid, l'insécurité, l'indifférence, la folie de certains, la drogue, l'alcool, la crasse... tout cela détruit peu à peu. Mais la vie dans une famille, elle-même en souffrance est tout aussi insoutenable. Les institutions semblent, aussi pour ces jeunes une menace, une violence. Séparés bien souvent de leurs parents, par une mesure visant à les protéger, en échec scolaire, ayant goûté à la garde à vue ou à la prison, leurs visions de la société et de ceux qui la représentent est oppressante. Qu'ils soient éducateurs, policiers, employeurs ou formateurs, ces jeunes croient qu'ils ont le pouvoir et l'intention de leur faire mal. Ils se sentent écrasés par notre société.
Alors que faire ? Il me semble que la meilleure réponse est de fraterniser, afin de casser ces cloisons étanches entre personnes de différents milieux. Nous vivons tous dans nos réseaux, avec ceux qui nous ressemblent et nous avons bien souvent peur des autres différents. C'est la démarche de notre petite équipe. Simplement être là, à leur côté, parler, faire un bout de route ensemble, ne pas avoir de projet sur eux, pour eux, être attentif à leurs aspirations. Ne pas leur montrer la route à suivre, ne rien attendre, mais croire en eux, garder confiance, mettre un peu de douceur et croire que cela peut porter du fruit,
même si ce n'est pas immédiatement efficace.

 



29/08/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 27 autres membres