Par Mots et par Vies

Je voudrais vous parler d'elle...

   Je voudrais vous parler d'elle...


La première fois que je l'ai rencontrée, il y a huit ans de cela, elle traînait à la gare. C'était un matin, elle avait froid, elle m'a demandé de l'argent pour un café. Je lui ai proposé d'en boire un avec elle. Nous sommes allées vers un distributeur, nous avons passé un petit moment côte à côte, nos cafés à la main. Je ne comprenais pas tout ce qu'elle me disait mais je la trouvais plutôt sympathique. A l'époque elle était rondelette.  Je l'ai souvent revue à la gare, puis devant chez moi où elle avait élu domicile. Quotidiennement il fallait l'enjamber pour sortir de chez nous.
Au fil des années notre relation eut des hauts et des bas. Parfois elle m'insultait, mais toujours elle revenait vers moi. Je n'ai jamais pu résister à son sourire édenté. Je ne sais pas très bien pourquoi nous sommes devenu amies, mais le fait est que nous comptions l'une pour l'autre.
Elle avait toujours quelque chose à demander : argent bien sûr, mais aussi vêtements, nourriture, douche, coups de fil à donner... elle avait aussi toujours quelque chose à montrer : rouge à lèvre, chapeau, bottes, vernis à ongle, sac à main...
Surtout elle voulait un logement. Un chez elle, mais sans passer par la case : foyers, travailleurs sociaux... un petit appartement, normal, à elle.
Il faut dire qu'elle n'avait pas toujours été dans la rue (c'est idiot d'écrire cela, peu de gens naissent dans la rue). Elle a grandi en Somalie, dans une famille me semble-t-il aisée. Toute jeune elle a rencontré un français, un militaire, elle l'a épousé à 18 ans et est arrivée en France avec l'homme qu'elle aimait. Trois enfants sont nés de cette union, deux garçons et une fille. Et puis c'est la dérive : l'alcool, la maladie mentale...elle est partie... Quel âge avaient les enfants ? Quel âge avait-elle ? Qui est cet autre homme dont elle parle si souvent ? Était-elle déjà malade ?
Comment est-elle arrivée à Lille après Saint-Omer, Calais, Roubaix ?
Je n'ai jamais pu vraiment reconstituer son itinéraire. Mes tentatives la font rire.
A certains moments j'ai voulu croire avec elle qu'elle pourrait avoir un appartement. Nous avons fait ensemble les petites annonces, mais son look, son discours incohérent, n'ont fait illusion à aucun propriétaire.
Peu à peu nous l'avons vu se dégrader, maigrir, être de plus en plus sale, de plus en plus saoule, de plus en plus provocante. Manche, prostitution de misère: pour une cigarette, une bière, étaient son quotidien. Elle faisait ses besoins au milieu de la rue, devant tout le monde. Elle dormait à même le sol: au soleil en pleine canicule, dans le froid l'hiver. Nous étions inquiets et impuissants.
Notre relation s'est dégradée lorsque j'ai déménagé. On se voyait moins, elle avait perdu un de ses rares repères et puis surtout elle avait décidé d'occuper l'appartement que je venais de quitter et ne comprenait pas que je ne lui en donne pas la clé. Chacune de nos rencontres (quasi quotidiennes) étaient faites d'insultes et de menaces, j'en arrivais à avoir peur d'elle.
Il arrivait souvent qu'elle soit hospitalisée en psychiatrie, mais là encore son obstination à ne pas vouloir continuer un traitement et rejoindre un lieu d'hébergement mettait soignants et travailleurs sociaux en échec.
Cette fois là, un éducateur à réussi à convaincre l'hôpital de ne pas la laisser sortir tant qu'une solution ne serait pas trouvé pour elle, arguant que sa vie était en danger, et c'est bien vrai, je le crois. Elle est restée 2 mois et demi dans un service psychiatrique, je m'y rendais à chacun de ses appels. Elle y était bien, elle y appréciait le confort, les repas, le personnel. Elle continuait à refuser sa maladie et surtout l'idée de ne pas avoir un appartement à sa sortie. Une place lui a été réservée dans un foyer, les éducateurs sont venus la chercher pour lui faire visiter mais elle a refusé de les accompagner. Le jour de sa sortie, ils sont venus la prendre en voiture pour l'y conduire, mais elle a préféré retourner au centre ville à pied sous la pluie...
Je ne l'ai pas vu pendant 24h, elle a passé une nouvelle nuit dehors, mais au petit matin elle m'attendait me demandant de la conduire dans ce foyer. Je devais aller travailler, je lui ai donc donné rendez-vous quelques heures plus tard, j'ai eu peur qu'elle ne soit pas là. Elle était là. Ses 2 mois et demi à l'abri lui ont rendu la rue insupportable.
Voilà presqu'un an, qu'elle vit là et elle s'y trouve bien. Au début elle n'osait pas sortir, elle avait du mal à s’orienter et ne savait pas y retourner toute seule. J'allais lui rendre visite à chacun de ses appels. Petit moment de fête, où elle m'accueillait avec joie.
Les premiers mois ont été rudes. J'espérais naïvement qu'elle oublie les moments sordides de son existence mais aucun détail ne lui a échappé. Elle rit des insultes qu'elle m'envoyait mais s'assombrit quand elle repense à sa vie.
Aujourd'hui, c'est elle qui vient me rendre visite, elle connaît mes habitudes et sait où me trouver, ce sont de beaux moments de complicité et de tendresse.



25/04/2012
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