Par Mots et par Vies

La ballade de la dinde

 

Comme chaque église, Saint-Maurice a accueilli pour les fêtes de Noël une crèche : des bergers, des mages, Jésus, Marie, Joseph, un mouton et... une dinde ou bien une poule, ça dépend comment on la regarde. Jusque là tout va bien.

 Samuel est un drôle de paroissien. Il vient souvent dans l'église, avec un chien, ou deux, ou trois et même parfois quatre. Il est souvent un peu alcoolisé, mais quelque fois il l'est beaucoup. Il vient prier, surtout Saint-Maurice puisque c'est le patron ici.

 Sa prière est parfois discrète, parfois bruyante, surtout lorsqu'il sort son harmonica. Il aime en jouer pour le Bon Dieu. Il est très regardant sur le respect dû à ce lieu et ne se prive pas d'houspiller les messieurs qui ne se découvrent pas la tête... Samuel vit dans la rue, sous une tente, dans un parc de la ville.

 L'autre jour, il m'a dit :

  • Au fait, la dinde, c'est moi qui l'ai prise, j'ai voulu qu'elle prenne un peu l'air.

 Au début je ne comprenais pas du tout de quoi il me parlait.

  • Mais oui, la dinde, dans la crèche, et ben, elle est chez moi, enfin chez moi, tu vois c'que j'veux dire.

Ayant enfin compris ce dont il s'agissait, je lui ai répondu :

  • Mais ce n'est pas bien du tout ça !

  • Ben, je sais que c'est pas bien, c'est pour ça que j'te le dis.

Ah bon.

  • Elle avait besoin de prendre l'air, je l'ai laissée picorer dehors, mais quand il a plu, je l'ai rentré.

Ah bon.

  • Mais tu vas la ramener ?

  • Bon d'accord, si tu veux.

Et le lendemain :

  • Chose promise, chose due ! Elle a juste un peu de terre là, parce qu'elle était dehors

Quelques instants plus tard :

  • Je l'ai remise dans la crèche, elle picore le cadeau, je suis sûr que c'est des chocolats.

Bon.

En repensant à cet événement, je ne peux pas m’empêcher de sourire. Ce grand gaillard de 50 ans, tout balafré par la vie, qui se prend de tendresse pour une poule en papier, qu'il prend pour une dinde et à qui il veut offrir quelques heures de liberté...

Cette poésie, cette ballade d'une dinde, me parle des rêves de l'enfance, des objets inanimés auxquels nous ne craignions pas de donner une âme, des histoires fabuleuses que nous nous inventions pour mieux appréhender le monde.

Je ne sais pas comment tu fais Samuel, toi qui vis dans la boue, le froid, le manque, pour avoir gardé cette fraîcheur là, mais je t'en remercie. Il y a tant d'années que tu souffres, tu as vu mourir tant de gens, passé tant d'hiver et tu restes debout, capable de douceur, de sourires, de poésie. Chapeau ! Merci.

 

 

 

crèche St Mô.jpg
     Elle est là !   /

 



07/02/2014
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