Par Mots et par Vies

Contemplation

 

 

 

Dans le cadre du centenaire du diocèse de Lille, il m'a été demandé, en 4 mn, de lancer un défi pour l'avenir... voici mon texte:

 

Présentation : Je fais partie de la Fraternité Diocésaine des Parvis, je suis dans deux équipes :

  • celle de Faubourg de Béthune où je vis avec d'autres de la Fraternité, notre mission est d'être une simple présence chrétienne dans ce quartier marqué par la précarité et le multiculturalisme

  • l'équipe rue qui sillonne les rues de Lille à la rencontre des personnes qui y vivent, sans abri, Roms... pour simplement tisser des liens d'amitié.

J'ai choisi comme défi, le défi de la contemplation.

 Le défi de la contemplation

 Il peut paraître contradictoire, au regard de l'urgence de certaines situation, de la détresse de tant de gens, de parler ici, du défi de la contemplation, de l'urgence de la contemplation...

 Par contemplation, je veux parler du regard qui ne s’arrête pas aux apparences.

 Un regard qui voit plus loin, qui distingue la lumière même lorsqu'elle semble n'être que loupiote, le feu sous la cendre, la force de vie quand tout porte à la désespérance.

 Par contemplation, je veux aussi parler d'un regard qui transforme celui-là même qui regarde. Qui le touche, le déplace, le nourrit, l'informe sur lui-même...

 Il y a dans l’Évangile une invitation de Jésus qui m'a toujours marquée, il y est question de moisson : La moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson. Je me suis souvent demandé : pourquoi la moisson ? Il y a aussi le travail de labour à effectuer et puis il faut semer avant d'espérer moissonner. Et je me suis rendue compte en relisant les paraboles que lorsqu'il est question de semer, de semeur, c'est le travail de Dieu lui-même, c'est l’œuvre du Père et de l'Esprit. Moissonner, c'est recueillir les fruits de ce travail. C'est croire qu'en tout homme le Seigneur est déjà là, à l’œuvre.

 Moissonner dans les rues de Lille ou dans mon quartier c'est être attentive à tous les signes, même ténus, de Vie, de Joie, de Paix, d'Amour, c'est les recueillir comme on prend dans ses mains quelque chose de précieux et de fragile tout à la fois.

 Lorsque j'entends des hommes, des femmes vivant dans la rue, me raconter leur histoire, marquée dès l'enfance par une souffrance qui me semble insupportable, je m'étonne qu'ils soient encore debout, capables de rire, de s'émerveiller parfois, d'aimer même ceux qui les ont blessés, de s'intéresser à la vie des gens de notre équipe, d'avoir des attentions pour nous. Il me semble que si j'avais vécu ne serait-ce qu'un dixième de ce qu'ils ont enduré et endurent encore, je serai anéantie, incapable d'aimer qui que ce soit. Leur partager l'admiration qu'ils suscitent en moi, par des mots parfois, ou simplement par ma joie de les rencontrer, par notre fidélité à ces rendez-vous, c'est simplement célébrer ensemble le sacré de leur vie, c'est leur dire qu'ils sont précieux, que leurs paroles comptent, que leur vie a du prix.

 Contempler c'est aussi se laisser transformer, travailler au corps, au cœur, par ceux que nous croisons. Au fil de ces années, à partager le voisinage de familles d'autres cultures, religions, histoires de vies... au fil de ces années à arpenter les rues de Lille... j'ai changé, je suis devenue, me semble-t-il (même s'il y a encore du chemin à faire), plus humaine, plus libre, plus heureuse, plus amoureuse, plus moi-même surtout.

 Dans l’Évangile de Luc, lorsque Marie reçoit l'annonce de l'ange, elle ne chante pas tout de suite son Magnificat. Il a fallu la rencontre avec Élisabeth et le tressaillement de celui qu'elle portait en elle, pour que Marie réalise ce qu'elle était entrain de vivre et qu'éclate son chant. Souvent la différence fait peur. Je suis marquée par la mauvaise réputation du quartier dans lequel je vis, beaucoup qui n'y sont jamais allés en ont peur, or, je vous l'assure, il y fait bon vivre, surtout lorsque l'on sait se réjouir, des sourires échangés, des nouvelles partagées, de la simplicité du quotidien... Beaucoup ont peur des personnes de la rue avec leurs chiens, leurs canettes et leur côté crado. Beaucoup ont peur des Roms, de leurs mains tendues, de leur insistance... mais tous ceux-là aussi, ont peur de nous, de notre assurance, de notre suffisance, de notre mépris parfois. L'expérience de Marie et de son Magnificat m'apprend que c'est la rencontre de l'autre, du différent, qui me révèle qui je suis vraiment, ce que je porte au plus profond et qui m'aide à le déployer.

 Bien sûr l'autre me révèle aussi ma part d'ombre, je me découvre solidaire des quêtes affectives de ceux que je rencontre, de leurs dépendances, de leurs difficultés à faire les gestes qui pourraient permettre d'avancer. Je suis de la même humanité, j'ai les mêmes pesanteurs, mais je partage aussi ce goût de vivre, cette soif d'un autrement meilleurs.

 Plus qu'un défi la contemplation me semble une urgence dans notre société tellement marquée par le rejet ou l'indifférence, elle nous entraîne à porter un regard de bonté sur les autres et sur nous-même et par là à mettre plus d'humanité, à créer des brèches dans notre société tellement fragmentée, à vivre une sereine réciprocité avec tous.

 

 

 

 

 

 

 



22/11/2013
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