Par Mots et par Vies

Noël: pas de place pour eux.

A quelques jours de Noël la vie dans la rue est encore plus rude que d'habitude.

L'arrivée du froid, le manque de soleil, les foules de passants pressés par l'achat des cadeaux... et ces lumières d'une fête qui évoque l'enfance, la chaleur d'une famille qu'ils n'ont plus, n'ont peut-être jamais eu.

La tension est palpable.

Il y a ceux qui se ferment, se taisent, crispés sur leur douleur.

Ceux qui craquent : qui pleurent ou qui frappent... c'est la même impuissance face à un ennemi plus fort que soi, ennemi sans visage : mal de vivre, désespérance, sentiment d'injustice...

 

Maguy vient d'être frappée par T, elle enrage. En colère contre celui qui l'a cognée et plus encore contre « son copain » qui n'a rien fait, n'a pas bougé pour la défendre, a même prétendu « n'avoir rien à voir avec ça ». Elle en a gros sur le cœur. Et son prétendu copain qui ne la lâche pas : il veut une feuille à rouler pour sa cigarette, il insiste. Elle s'énerve, le bouscule, la tension monte.

Dans l'immédiat Maguy a trois désirs simples mais qui semblent irréalisables quand on est une femme, dans la rue, avec un chien, et qu'il est 17h. Elle voudrait se laver, car sous les coups elle a saigné et voudrait se débarrasser du sang sur son visage et sur ses mains. Elle voudrait aller aux toilettes. Et surtout, elle voudrait se poser, au calme, pour se remettre de tout ça, pendant quelques instants.

Il est 17h, les accueils de jour sont fermés et la halte de nuit n'ouvre qu'à 20h.

Nous lui passons des lingettes pour qu'elle se débarbouille rapidement. Je lui garde son chien pour qu'elle fasse ses besoins entre deux voitures dans une petite rue obscure. Mais quant à se poser au calme... il fait nuit, il fait froid, il pleut, pas question de rester dehors. Dans un café, un centre commercial... avec son allure SDF et son chien, elle sait qu'il ne faut même pas y penser, pas plus que dans le métro... pas de place pour elle. Elle connaît bien quelques recoins abrités, mais c'est là que se retrouvent ses compagnons d'infortune et elle veut rester seule pour simplement se poser. C'est trop demander.

 

Voilà déjà plusieurs jours qu'il en parlait et j'avoue que je l'écoutais d'une oreille distraite, sans trop y croire... mais ce soir-là j'ai bien dû me rendre à l'évidence : ce bonhomme, quand il a une idée dans la tête... il ne lâche pas facilement.

Il disait donc qu'il voulait mettre sur ce petit bout de terre, dans la rue, à deux pas d'une bouche de métro et d'un centre commercial, un sapin de Noël et que se serait le sapin des SDF.

Nous étions tranquillement à converser, à rire et écouter de la musique comme toujours avec ce groupe qui manie si habilement l'humour et la taquinerie, quand le camion d'Emmaüs est arrivé. Ahmed, un bénévole en est descendu, il est allé droit vers P et lui a dit : « je t'ai apporté ce que tu m'as demandé ». Tout le groupe s'est dirigé vers le camion, pour boire un bol de soupe, récupérer quelques vêtements, des couvertures, de la nourriture... P a eu droit à un sapin et un gros carton remplis de guirlandes et de boules... Tous ensemble nous l'avons décoré et installé sur ce petit bout de pelouse, bien attaché à un arbre.

Il est beau. Beau de l'incroyable résistance d'un homme qui vit dehors et se refuse à subir sa vie. Un homme debout malgré tous les coups reçus : les morts et les ruptures et cet ami, qui n'en n'est pas un, il le sait bien, l'alcool. Merci P.

 

 

J'ai appris la mort de Maguy en mai 2012,sans doute d'une overdose...elle n'avait pas 40 ans.



09/12/2011
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